28 mars, 2024

1880 – Les îles Saint-Pierre et Miquelon, le comte de Premio-Real

LES ILES SAINT-PIERRE ET MIQUELON

Notes de la conférence donnée à l’Institut Canadien, devant la Société Géographique de Québec, le 29 avril 1880, par Son Excellence le comte de Premio-Real, consul-général d’Espagne

Combien d’hommes est-t-il en Europe, voire en Amérique, parmi ceux mêmes qui ont des prétentions à un certain savoir, combien, dis-je, en est-il, qui ignorent jusqu’au nom de ces trois petites îles perdues sur les côtes de Terre-Neuve, ce colosse dont elles sont les humbles satellites.

Combien de français même à qui leur nom est inconnu, ou dans l’esprit desquels elles n’éveillent qu’une idée vague, presque insaissible, pareille au lointain murmure des eaux de l’Océan, arrivant presque imperceptible aux oreilles du paysan qui en habite l’intérieur.

Et cependant ces trois ilots sont les épaves d’un empire immense , qui s’étendait jadis des terres polaires aux bouches du Mississipi, le puissant père des eaux. Elles formaient autrefois une partie infime de ce vaste domaine que les fils de Saint Louis ont fécondé de leurs sueurs et de leur sang, mais qu’ils se sont laissé enlever, après l’avoir ouvert à la civilisation, par un adversaire vigilant et pratique.

Sur ces humbles rocs ou flotte le drapeau tricolore, habite tout un petit monde de pêcheurs endurcis par l’âpre haleine des bises glaciales du pôle. Ce petit coin de terre qui semble au premier abord ne pouvoir être habité, voit fourmiller autour de lui une richesse naturelle intarissable, je veux dire que ce bancs de morues et de harengs plus précieux que l’argent et l’or, et qui ont donné à un petit pays, la Hollande, l’existence d’abord, l’opulence ensuite, la puissance enfin à un certain moment de son histoire.

Qu’on ne soit donc point surpris du ton lyrique de ce début. Les îles Saint-Pierre et Miquelon ont vu passer tous les navigateurs célèbres qui ont découvert ou exploré le Canada. C’est de leurs eaux que la France tire une partie importante de son alimentation. C’est vers leurs ports que l’Espagne envoie tous les ans des quantités énormes de sel pour conserver les dons précieux de la mer. C’est là que, dans la belle saison, des centaines de navires et de bateaux, et des milliers de pêcheurs français vont récolter pour leur patrie une moisson toujours abondante, et se former au rude métier de matelot.

Qu’importe, après cela, que la moitié de l’année, ces rivages soient ensevelis sous la neige ou enveloppés dans d’épais brouillards; qu’importe qu’ils soient battus par les puissantes vagues de ce terrible Océan du Nord qui viennent, en mugissant, les inonder de leurs eaux verdâtres chargées d’algues et de débris de toute espèce, et semblent vouloir, dans leurs terribles convulsions les effacer de la carte du monde.

La vie est assurée là non seulement pour ceux qui y habitent, mais encore pour des milliers de créatures vivant par delà l’Atlantique. La mer, cette rude nourricière, ouvre là ses flancs profonds à tous ceux qui ne craignent pas le balancement de ses ondes toujours mobiles.

Il n’y a point là de ces misères affreuses, ni de ces existences consummées par la faim, comme il s’en trouve dans les grands centres populeux, au milieu de toutes les ressources de la civilisation.

Les vigoureux pêcheurs, bistrés par le vent de la mer n’y ont jamais la famine à craindre. Une manne incessament renouvelée monte vers eux des profondeurs de l’abîme. On dirait que Dieu a voulu faire éclater sa puissance et montrer à l’homme la vanité des richesses de convention, en faisait pulluler la vie et les trésors naturels dans ces parages qui, au premier aspect, ne semblent pouvoir abriter que la misère et la mort…….

Malgré les considérations contenues dans ce qui précède, le choix de mon sujet a pu vous surprendre. C’est à vous, que, naguère, la savant professeur Bell faisait part de ses explorations personnelles, sur un champ aussi grandiose que la baie d’Hudson et ses environs. N’était-ce pas abuser de votre complaisance de venir vous parler de trois petites iles qui physiquement, d’offrent rien d’extraordinaire? Mais j’éprouve pour elles un sentiment d’affection tout particulier. Cela ne proviendrait-il pas précisément de leur petitesse? Le Canada avec ses champs sans limites m’inspire un sentiment d’admiration. Mais il est plus facile de concentrer son affection sur un objet d’étendue restreinte que l’esprit peut, pour ainsi dire, embrasser sans effort. Le célèbre Burke dans son ouvrage sur le sublime et sur le beau: « On the sublime and beautiful » fait remarquer que, généralement, l’admiration se porte sur les objets grands ou terribles, l’amour sur des objets relativement petits et agréables.

Comme je l’ai dit, les îles Saint-Pierre et Miquelon sont tout ce qui reste à la France d’un empire qui comprenait les possessions britanniques actuelles de l’Amérique du Nord et la vallée du Mississipi, c’est à-dire la moitié du continent Nord Américain. Les fleurs de lys durent successivement se retirer de Terre-Neuve en 1713, du Cap-Breton et de l’île du Prince-Edouard en 1745, du Canada et de la Nouvelle-Ecosse en 1763 ainsi que du territoire à l’Ouest du Mississipi, et le léopard britannique ne laissa à la vieille monarche française que le droit de pêche sur les côtes de Terre-Neuve et les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Elles sont situées à l’entrée de Fortune Bay, golfe qui s’enfonce profondément dans la côte sud de Newfoundland, à proximité du banc de Saint-Pierre fréquenté par les morues, et non loin du grand banc de Terre-Neuve. Une distance de 135 milles les sépare du cap Ray et du cap Race qui forment respectivement les extrémités Sud-Ouest et Sud-Est de la terre des Bacalaos, comme on l’appelle en Espagnol.

Elles se trouvent à 6470 km de Brest, le point le plus rapproché de la mère patrie. Suivant le géographe francais Onésyme Reclus, les îles Saint-Pierre et Miquelon ont une superficie de 21,000 hectares et une population sédentaire de 3000 habitants. Il y a de cela 2 ou 3 lustres. Mais actuellement, suivant mon intelligent subordonné aux dites îles, elle s’élève à 5000 âmes. Le petit Archipel se compose, au Nord, de la grande-Miquelon, sise par 47’4″ de latitude Nord et 56’20 » de longitude Ouest, au Sud, de la petite Miquelon ou Langlade et au Sud-Est de cette dernière, de Saint-Pierre, beaucoup plus petite, mais trois plus peuplée que les précédentes.

Il est presque superflu de mentionner quelques îlots insignifiants, simples rochers de granit sans végétation et sans habitants. La grande Miquelon et la petite sont, depuis 1783, réunies par une langue de sable.

Saint-Pierre renferme le chef-lieu du même nom, résidence du gouverneur de tout l’Archipel. Cette modeste capitale a pour horizon les collines basses portant un bois de résineur lilliputiens dont la cime arrive à peine l’épaule d’un enfant. Dans la saison commerciale la population flottante de pêcheurs et de marins venus de France et d’autres pays y surpasse de beaucoup le nombre de résidents. Le mouvement des navires, la pèche, la salaison, donnent alors une prodigieuse animation à ces pauvres îles au sol indigent, au climat dur, mais très sain.

Les cultures de Saint-Pierre et Miquelon ont peu d’étendue; quelques pommes de terre, des choux, un peu de foin, voilà tout ce que le regard de l’agronome pourrait y découvrir. La végétation y est généralement chétive. Les hauteurs atteignent 500 pieds en certains endroits. Les parties basses abondent en étangs et en marais. en somme la pêche est l’occupation principale, sinon exclusive, des habitants. Vu la rareté du bois, on y brûle surtout du charbon qui vient principalement de la Nouvelle Ecosse et du Cap Bretron. Le climat ressemble beaucoup à celui des ports du golfe du Saint-Laurent. Les côtes sont souvent couvertes d’épais brouillards qui s’élèvent soudain et persistent durant plusieurs jours. St.Pierre, au Nord-Est de l’île du même nom, possède un excellent port qui peut contenir un grand nombre de navires, et leur assurer un très bon mouillage. On y voit jusqu’à 60 bâtiments pêcheurs à la fois. Les autres anses de l’Archipel n’offrent ni les mêmes avantages ni la même sécurité. Lorsque certains vents soufflent, les navires qui y ont jeté l’ancre, sont souvent obligés de prendre la haute-mer, pour éviter d’être brisés contre le roc par les poussées formidables de la tempête.

Comme conclusion à ces quelques données sur les îles Saint-Pierre et Miquelon, je dirai que la nature semble les avoir spécialement destinés à être d’excellentes stations de pêche.

Les flots qui environnent les îles Saint-Pierre et Miquelon recèlent un grand nombre de poissons d’espèces différentes. Le hareng s’y montre quelques fois en colonnes profondes, mais comme les pêcheurs français qui exploitent ces parages s’attachent presque exclusivement à la morue, je ne m’occuperai en détail que de cette dernière.

Les naturalistes l’appellent gradus morrhua; ses principaux caractères sont trois nageoires dorsales, deux anales et un barbillon, bouquet de filaments attaché à la mâchoire inférieure. C’est un poisson malacoptérygien, c’est-à-dire à nageoires molles. On en distingue plusieurs espèces. La plus commune est la morue franche, qu’on appelle aussi cabillaud ou cabéliau quand elle est fraiche. Sa longueur varie de soixante-dix centimètres à un mètre. Une tête grosse et comprimée, une bouche énorme. des yeux très gros à fleur de tête et voilés par une membrane transparente, une cuirasse d’écailles grises sur le dos et blanches sous le ventre avec des taches dorées, des nageoires jaunes et grises, tels sont les principaux caractères extérieurs de cet habitant des mers. Joignez-y des dents simplement implantés dans les chairs et susceptibles de se mouvoir à la volonté de l’animal, un estomac très volumineux et très vorace et une prodigieuse fécondité, et vous pourrez vous faire une idée des hécatombes de petits poissons que la morue engloutit avant d’être elle-même la proie dee terrible destructeur, de cet omnivore qu’on appelle l’homme.

La morue atteint quelquefois un poids de cent livres; mais petite ou grande, pensant ou légère, elle est toujours pour les humains une ressource précieuse, une nourriture des plus saines. J’ai parlé tout à l’heure de sa fécondité. Jugez plutôt: les femelles portent de 4 à 8 million d’oeufs dans leurs flancs; quel rève de romancier peut se comparer à cette réalité vivante. Un de ces savants qui ne respectent rien et qui forcent la nature à leur dévoiler ses arcanes les plus mystérieux, évalue à 150,000,000 le nombre des animacules contenus dans la laite d’une seule morue mâle. Cette espèce est répandue dans toutes les mers septentrionales de l’Europe et de l’Amérique, à l’entrée de la MAnche, en Irlande. Sur les côtes de l’Irlande, de la Suède, de la Norwége, de l’Ecosse, elle donne lieu à une exploitation important, mais c’est sur les bancs de Terre-Neuve ou aux environs que cette pêche se fait tout-à-fait en grand.

La saison favorable s’étend de février à novembre. Au grand banc de Terre-Neuve, elle commence en mai. Après avoir pris les morues, on les sale ou on les fait sécher. Dans le premier cas on les éventre, et on leur ôte le foie ou les oeufs après avoir coupé la tête et la langue que l’on met à part. Elles portent alors le nom de morues vertes. Il est essentiel d’avoir à bord un homme qui ouvre le poisson et coupe la tête avec habileté. On appelle morues blanches celles qui ont été salées, mais séchées promptement, et sur lesquelles le sel a laissé une sorte de croûte blanchâtre. Pour achever le séchage on les expose au soleil et ensuite à la fumée; ces dernières prennent le nom de morues séchées ou parées; on les confond aussi fort souvent sous le nom de merluche avec le merlan préparé de la même manière sur les côtes de Provence. La pêche de la morue se fait soir sur les rivages rocheur, soit sur des bancs de sable où les plus grosses sont prises à des profondeurs variant de 25 à 50 toises.

Quant aux origines de la pêche à la morue, il est impossible de les assigner d’une façon exacte. Quelques uns voudraient en faire honneur au Portugais Gaspard de Corte-Real, au commencement du 16e siècle; mais on pense avec beaucoup de raison que les pêcheurs Basques, en poursuivant les baleines, découvrirent le grand et le petit banc de Terre-Neuve, un siècle avant l’expédition de Christophe Colomb. Ces hardis pêcheurs avaient exploré les côtes du Canada et connaissaient à coup sûr Terre-Neuve, la terre des Bacalos, comme il l’avaient appelée, avant que le grand navigateur génois eût fait bouilloner la mer des Antilles sous la proue d’un navire européen. Les Hollandais et les Anglais paraissent aussi s’être livrés à la pêche de la morue, dès le 14ième siècle, les derniers sur les côtes d’Islande; et les pêcheurs de la Rochelle et de la Bretagne avaient jeté leurs lignes dans les eaux du golfe Saint-Laurent, longtemps avant que Jacques- Cartier eût fait voir aux hurons de Stadacona l’étendard aux fleurs de lis d’or ….

On peut pêcher la morue de différentes manières, avec des lignes ordinaires, des lignes de fond et des seines, filets d’une grande dimension. Mais le premier de ces moyens, tout en donnant de très beaux résultats, est préférable au point de vue de l’avenir des pêcheries. Bien des faits le prouvent surabondamment. Quelle que soit la fécondité de la morue, l’avidité aveugle de l’homme parviendrait, sinon à détruire l’espèce, du moins à rendre son exploitation insignifiante, si une sage législation ne venait par des disposition prévoyantes, mettre obstacle à la cupidité insatiable de ceux qui ne considèrent que le présent. Il est en fait bien connu dans ce pays-ci, c’est que les pêcheurs des Etats-Unis, après avoir dilapidé comme des prodigues leurs propres pêcheries de morues, seraient parvenus à en faire autant pour celles du Canada, si on n’y avait mis bon ordre. Comment voulez-vous qu’il en fût autrement avec des bâeaux de pêche portant 4 à 6 lignes de fond, dont chacune avait 1000 hameçons. Les gens des Etats-Unis ont ainsi détruit plusieurs espèces dans les eaux canadiennes. Comme il appert par le fameux discours prononcé le 3 mai 1879, à la Chambre des Communes d’Ottawa, par l’Honorable M. Pierre Fortin, député de Gaspé, – le premier qui ait présidé cette société de géographie et que j’ai l’honneur de compter au nombre de mes amis personnels, – avec ces lignes de fond qui n’en finissent pas, on tue les poissons femelles. L’usage de la seine n’est pas moins préjudiciable, car on prend avec les gros représentants de l’espèce une masse de fretin qu’on est obligé de rejeter à la mer, où ces débris vont souvent empoisonner les eaux, ou fournir aux poissons qui s’y trouvent une nourriture tellement abondante qu’ils ne mordent plus pour longtemps aux appâts employés par les pêcheurs consciencieux…

La chair des morues n’est pas la seule partie dont on fait usage. Sans parler d’autres choses, on tire de leur foie cette huile célèbre qui est si utile à certains métiers.

L’huile de foie de morue est fournie principalement par la morue proprement dite, gradus morhua dont nous avons déjà parlé. Outre Terre-Neuve, les principaux lieux de fabrication sont Dieppe, Dunkerque, Ostende, l’Angleterre, la Hollande, les îles Loffoden. Les procédés de préparation varient et fournissent des huiles de qualités différentes. Ces procédés peuvent être ramenés à deux principaux: 1. la préparation à l’aide de la putréfaction et de la chaleur, soit solaire, soit artificielle; 2. la préparation à l’aide de la chaleur artificielle exclusivement. A Terre-Neuve, les foies extraits des poissons sont entassés dans de grandes cuves au fond desquelles servent à laisser écouler l’huile qui se produit ainsi que le sang et le sérum, dans d’autres cuves placées immédiatement au-dessous. On recueill ensuite l’huile qui surnage dans de grands barils.

On compte cinq variétés d’huile de foie de morue: 1. la blonde; 2. la brune; 3. la noire; 4. la pâle; 5. l’huile vert-doré. La première est d’un jaune d’or, d’une odeur très faible, d’une saveur d’abord douce, ensuite plus ou moins excitante. La seconde est de couleur d’ocre brune, d’une forte odeur de poisson analogue à celle du hareng salé, et d’une saveur de poisson, qui imprime au palais un sentiment d’âpreté. La troisième est d’un brun tirant sur le noir, d’une odeur nauséabonde, d’une saveur amère et empyreumatique. La quatrième est d’une couleur jaunâtre, d’une saveur et d’une odeur peu marquées. La cinquième est limpide, couleur vert-doré, douce au goût et à l’odorat. L’huile normale de foie de morue est celle qui est préparée avec des foies parfaitement frais, à une chaleur douce et sèche, à l’abri du contact de l’air, dans des vases de verre ou de porcelaine. D’après les chimistes Delattre, Girardin et Riégel, voici la composition de cette huile:

Oléine 988.700
Margarine et graduine 8.760
Chlore 1.122
Iode 0.327
Brôme 0.043
Brôme 0.043
Phosphore 0.203
Soufre 0.201
Acide phosphorique 0.108
Acide sulfurique 0.236
Perte 0.300
Total 1,000,000

L’huile de foie de morue est sujette à de nombreuses falsifications. Les huiles qu’on lui substitue le plus fréquemment sont celles de poisson épurée, seule ou associée à l’iode ou à des iodures, celle de foie de morue elle-même mélangée avec de l’huile ordinaire de poisson, avec de l’huile d’olive ou de pavor, et même quelquefois avec de l’huile de colza. Les chimistes ont chercé en vain des moyens propres à faire connaître ces divers genres d’alduteration, ou du moins ils ont abouti à des résultats différents qui n’ont pas la certitude scientifique désirable. Le seul fait sérieux auquel on soit arrivé est de pouvoir constater la présence ou l’absence de l’huile de foie de morue dans une huile quelconque. Le réactif employé est l’acide sulfurique concentré. Si l’on en verse quelques gouttes sur une petite quantité d’huile de foie de morue, déposée sur un morceau de verre placé sur du papier blanc, on remarque la formation d’une auréole violette, qui passe bientôt au cramoisi, puis, au bout de quelques minutes au brun.

Il y en a qui voient dans l’iode le principe actif de cet agent thérapeutique, et c’est la quantité plus ou moins grande de ce dernier principe qui à quelques-uns fait préférer une variéré à une autre.

L’huile de foie de morue s’emploie en médecine dans toutes sortes de maladies, les affections, scrofuleuses et tuberculeuses, le ramollissement des os, le rhumatisme et la goutte, les affections du système nerveux, etc. etc.

Quant à la théorie de l’action thérapeutique de ce puissant agent médical, elle n’est pas de mon ressort.

Le corroyeur et le chamoiseur font usage de l’huile de foie de morue, pour donner aux cuirs de la souplesse et du brillant.

Les succédanés de l’huile de foie de morue ou substances qui ont les mêmes propriétés médicales sont nombreux; on les emprunte aux cétacés, aux poissons, aux amphibies, aux mammifères, aux oiseaux, aux reptiles, aux crustacés, aux insectes et même au règne végétal. Pour ne citer que les plus connus, je nommerai: l’huile de foie de raie, celle de requin, celle de hareng; les huiles de baleines et de phoque; le lait, le suif, l’huile de pied de boeuf et de veau; le jaune d’oeuf; la graisse de serpent; le bouillon d’écrevisse; les huiles d’oeillette, de lin, de noyer, d’amandes douces, etc., etc. Je laisse aux Hippocrates présents ou futurs le soin de décider du degré de confiance qu’il faut accorder à ces divers substituants de l’huile de foie de morue, et je leur cède la place avec la douce satisfaction d’homme qui jamais éprouvé le besoin de recourir ni à cette glorieuse substance, ni à ses succédanés…

J’ai dit que la France tire des îles Saint-Pierre et Miquelon la plus grande partie de la morue qu’elle consomme.

Pour s’expliquer l’affluence des pêcheurs français dans ces eaux lointaines, il faut avoir une idée des profits qu’on peut en retirer. Il me suffira d’en citer deux exemples. On a vu des hommes prendre sur les bancs de Terre-Neuve de 400 à 550 morues dans 10 ou 11 heures. Une fois, 8 hommes en ont pris dans leur journée de pêche 80 vingtaines sur le Dogger Bank.

D’ailleurs il existe un autre stimulant. Le gouvernement français qui a, dès l’origine, compris la haute importance des pêches, donne à chaque bâtiment pêcheur une prime d’encouragement au prorata de sa prise. Ces primes, sont de quinze, seize et vingt francs par quintal métrique, suivant les destinations. En outre chaque bâteau pêcheur reçoit cinquante francas par homme d’équipage, pour la pêche, avec sécherie, saoit à la côte de Terre-Neuve, saoit à Saint-Pierre et Miquelon, soit sur le grand banc de Terre-Neuve. D’ailleurs les navires engagés qui ont un peu de chance peuvent faire plus d’un voyage en Europe dans la même saison, puisqu’elle commence en mai et finit en novembre.

La partie de la mer réservée aux pêcheurs français est très étendue. Vers le nord, elle s’étend jusqu’à 8 milles des côtes de Terre-Neuve.

La valeur annuelle moyenne de toutes les pêcheries françaises est de L 3,500,000, soit à raison de 25 francs par livre sterling, 87,500,000 francs. En 1876, leurs produits ont représenté la somme de 88,900,591 francs, soit environ de 16 millions de dollars. 21,263 vaisseaux ou bâteaux de pêche, montés par 79,676 hommes, étaient employés sur les différentes pêcheries.

La capture de morue dans la colonie de Saint-Pierre et Miquelon, suivant les rapports officiels, a été en moyenne, pour les cinq années finissant en 1871, de 15,425,083 kilogrammes. Les mêmes rapports montrent que pour les cinq années finissant en 1874, le nombre moyen des navires emplyés était de 76 et celui des bâteaux de 590, jaugeant tous ensemble 12,386 tonneaux et montés par 5,335 pêcheurs.

La France pêche 25,000,000 de kilogrammes de morue par an et souvent plus. Plus des trois cinquièmes, quelquefois les quatre cinquièmes viennent des eaux de Saint-Pierre et Miquelon. Et n’allez pas croire que cette proportion date d’hier. Si je remonte à l’année 1863, je trouve 25,349,681 kilogrammes de morue représentant une valeur de 12,281,700 francs.

Ajoutons en terminant que les français prennent dans les mers d’Islande plus de poisson que les Islandais eux-mêmes et emportent chaque année en France pour une valeur de L 270,000 ou 6,750,000 francs de morue. Ils ont une flotte de 290 vaisseaux montés par 4,400 hommes, chaque bâeau jaugeant en moyenne 90 tonneaux.

Les pêcheurs des mers d’Islande aussi bien que ceux de Terre-Neuve reçoivent des primes d’encouragement. Vous voyez, Mesdames et Messieurs, qu’un pays place bien de l’argent qu’il emploie à développer une industrie de ce genre, et je considère ici que le profit pécuniaire. Mais il ne faut pas oublier que la pêche développe les aptitudes maritimes de l’homme des côtes et le prépare, par son rude apprentissage, à faire un excellent marin de guerre.

On a cherché depuis quelques années à contester en Angleterre et au Canada même les droits de la France aux pêcheries de Terre-Neuve. Mais l’examen des différents traités intervenus entre la France et l’Angleterre démontre le bien fondé des droits de la première, droits qu’elle n’a cessé de revendiquer en toute occasion avec la même persistence. Le traité d’Utrecht de 1713 força Sa Majesté très chrétienne à céder aux Anglais Terre-Neuve, mais confirma en sa faveur le droit de pêche sur les côtes et dans les baies de cette île.

Le traité d’Utrecht fut confirmé, en ce qui concernait les pêcheries, par l’article 5 du traité de Paris de 1763, dont l’article VI concède en outre à la France les îles Saint-Pierre et Miquelon comme abri pour les pêcheurs français (to serve as a shelter to the French fishermen).

Une brochure publiée en 1876 à Québec et intitulée les Pêcheries de Terre-Neuve, porte en sous-titre: « Droits de la France exposés en réponse aux assertions de l’Institut Colonial. » Cet opuscule parfaitement rédigé pouve en effet d’une manière victorieuse les droits de la France.

La convention de 1857 témoigne que l’Angleterre, par l’organe de son gouvernement et de ces négociations officiels, a reconnu comme fondées les prétentions de la France

CLEF

Pour servir à l’étude de l’historique du droit de pèche dans les eaux de Saint-Pierre et Miquelon.

Les traités, et les articles de ces traités, sur lesquels la France fonde ses prétentions, se suivent ainsi:

  • Traité d’Utrecht, 1713 – Art. 13
  • Traité de PAris, 1763 – Art. 5.
  • Traité de Versailles, 1783 – Art. 4,5,6.
  • Traité d’Amiens, 1802 – Art. 15.
  • Traité de Paris, 1814 – Art. 8 et 13
  • Traité de Paris, 1815 – Art. 11.

La grande difficulté dans la question des pêcheries est de savoir si les Français ont un droit de pêche exclusif sur la partie des côtes de Terre-Neuve qui leur a été assignée par les traités.

Mon rôle m’obligeant à la plus stricte impartialité, je donne ci-dessous les articles qui servent de base à l’opposition faite aux prétentions de la France par l’institut colonial britannique:

  • Traité de 1783 – Art 3.
  • Convention de 1818 entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis.

Je ne parlerai pas des usages les plus ordinaires du sel, ou l’utilité de ce condiment indispensable pour la conservation des substances alimentaires. Je ne veux pas m’étendre sur les applications industrielles du sel qui sert à fabriquer la soude artificielle, à préparer le chlore et le sel ammoniac, à vernir certaines terres cuites. Je me garderai aussi de me plonger dans les ténèbres du passé, pour vous faire apprécier l’emploi du sel dans le culte. Chez les juifs, les païens, on s’en servait dans les sacrifices pour purifier et consacrer la victime. L’eau lustrale était salée, comme l’est encore l’eau bénite de nos jours, ce qui prouve bien, comme disait le roi Salomon, qu’il n’est rien de nouveau sous le soleil. Mais il est un sujet de la plus haute importance pour ce pays même, que je ne puis laisser passer sans vous en dire quelques mots; je veux parler du rôle du sel dans l’agriculture. Mélangé avec une certaine proportion de suie, il opère comme un amendement sur les terres arables et excite la fertilité de celles qui sont incultes. Il présente un remède efficace contre la carie. Mêlé aux semences, il les préserve des attaques des inseces. Il favorise la végétation des graines huileuses et en particulier du lin, – de ce lin qui sert à fabriquer quelques uns des fins tissus.

Les sel augmente aussi le produit des pâturages et des prairies; il améliore la qualité du foin, rend les fourrages grossiers plus nourrissants et les aliments humides moins nuisibles aux bêtes à corne et aux chevaux. Il préserve les bestiaux des maladies, rend leur chair beaucoup plus agréable, et augmente la quantité du lait chez les vaches et les chèvres. Mais de plus, le sel employé comme amendement peut modifier le climat. Oyez et écoutez ce que je vais vous dire. Il dépend de vous habitants du Canada, d’élever la température de vos rives et d’adoucir vos hivers. Non point que je vous promette le ciel de l’Andalousie. Les effest du chlorure de sodium ne vont point jusque-là. Mais sérieusement parlant, vous pourriez rendre la froidure un peu moins âpre, et voici comment: Il est des sols qui absorbent le sel et qui sont échauffés par cette substance. Mais il en est d’autres qui ne l’absorbent pas complètement; le sel, entraîné par les eaux de pluie, va se mêler aux flots tumultueux des rivières et aux paisibles ondes des lacs, et au bout d’un certain nombre d’années, lorsqu’il est en assez grande quantité, il empêche ou retarde la congélation de l’élément liquide. On il faut avouer que toutes ces surfaces aqueuses solidifiées par les frimas et qui émaillent le beau Canada sont de fameuses glacières qui ne contribuent pas peu à faire descendre le thermomètre à 40 au-dessous de zéro.

Enfin, le sel, c’est bien su, est très répandu dans la nature, soit en couches plus ou moins considérables dans le sein de la terre (ce qu’on appelle le sel gemme) soit en dissolution dans les eaux de la mer, de certains lacs et de certaines fontaines. En Espagne l’Aragon et la Catalogne referment des gisements considérables de sel gemme. L’eau de mer contient environ 3 % de sel marin qu’on en retire en exposant l’eau à l’évaporation dans de vastes bassins creusés sur les bords de la mer, et qu’on appelle marais salants. En général ils se composent: 1 d’un vaste réservoir dis jas, placé en avant du marais proprement dits, plus profond qu’eux et communiquant avec la mer par un canal fermé d’une écluse. On le remplit à marée haute. Il est destiné à conserver l’eau, afin qu’elle dépose ses impuretés, et à remplacer l’eau des autres bassins à mesure qu’elle s’évapore; 2 du marais proprement dit ou salin, situé derrière le jas et divisé en une multitude de compartiments séparés par de petites chaussées, destinées à mutliplier les surfaces pour augmenter l’évaporation, et à recevoir des eaux de plus en plus concentrées; ces compartiements communiquent entre eux, mais de manière que l’eau n’arrive d’une case à une autre qu’après avoir parcouru une longue suite de canaux.

On juge que le sel va bientôt cristaliser quand l’eau commence a rougir; elle se couvre peu après d’une pellicule de sel qui coule au fond. On retire le sel sur les petites chaussées qui séparent les cases, et là il commence à s’égoutter. On répète cette récolte deux ou trois fois par semaine, depuis le mois de mai jusqu’au mois d’octobre.

Cette substance représente la vie d’un grand nombre d’hommes, et mes compatriotes y figurent pour une proportion très notable.

Le sel est le principal article de commerce entre l’Espagne et les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Ici le conférencier donne des détails sur les sujets suivants:

Commerce des îles Saint-Pierre et Miquelon avec l’Espagne et la France

Commerce avec le Canada et avec Terre-Neuve
Nature et valeur des produits exportés à Saint-Pierre et Miquelon par chaque province du Canada, notamment par celle de Québec.
Navigation.

Puis il termine en disant:

J’ai pensé que vous ne seriez pas fâchés d’entendre parler de ce coin de terre, dernier débris de la splendeur française dans l’Amérique du Nord; et puis comme le dis si éloquemment mon noble ami Lord Dufferin en parlant de l’Islande, dans ses « Lettres de hautes latitudes », traduites en français par votre compatriote M. Bédard, le modeste Archipel dont je vous ai entretenu « partage avec la puissance du Canada la même aurore aux teintes vermeilles, et, pendant l’hiver, est enveloppé dans le même blanc manteau. » Pour vous Canadiens-français en particulier, le sujet n’était pas tout-à-fait dépourvu d’intérêt. Vos pères avant d’aborder sur les rives du Saint-Laurent, ont tous passé à proximité des rocs des îles Saint-Pierre et Miquelon, et on les aurait bien étonnés alors, si on leur eût dit qu’elles seraient un jour la dernière et unique sentinelle de la mère patrie dans ces eaux, sillonnées par tous les preux qui ont fondé le Canada français ou l’ont défendu, les Cartier, les Champlain, les d’Iberville, etc., etc. Sic transit gloria mundi. Ainsi passent les gloires de ce monde. Mais une autre conquête n’a point arrêté dans leur essor les germes féconds qui portaient en eux une nombreuse postérité. Les 60,000 colons jetés dans ce pays par la France se sont multipliés comme à miracle, et tout le donne lieu de croire qu’elle sera représentée un jour sur cette terre américaine par un grand peuple qui parlera sa langue, et sera fier de se rattacher à elle par ses origines.

Et comment pourrait-il en être autrement! Jamais plus noble berceau ne fut offert à une jeune nationalité. Comment décrire ce fleuve majestueux, ces forêts solennelles, ces sites grandioses qui font du Canada un des plus beaux pays du monde! Vos hivers sont rudes, mais ils ne peuvent que développer des corps vigoureux insensibles aux intempéries de l’air. Les nappes éblouissantes de vos neiges ne contiennent pas de miaismes funestes à la santé, et dans vos larges campagnes, les poumons peuvent aspirer librement l’air le plus pur qui soit sous le soleil. En été, une végétation touffue, au feuillage luxiriant, savoureux pour ainsi dire, verse à votre poitrine l’oxygène à plein flots, tandis que les arbres résineux envoient dans toutes les directions leurs senteurs salutaires.

D’immenses terrains, propices à la culture, n’attendent que des mains diligentes pour rendre au centuple ce qu’on leur aura prêté. Développez-vous sur cette terre aux horizons immenses, et devenez à votre tour un arbre puissant aux racines plongées dans un passé glorieux, à la cime se projettant vers un lumineux avenir.

Grand Colombier

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Une réflexion sur « 1880 – Les îles Saint-Pierre et Miquelon, le comte de Premio-Real »

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