Le récit d’Emile Sasco :
Un meurtre à l’île-aux-Chiens.
Saint-Pierre, le 19 février 1938.
Affaire Néel Auguste & Ollivier Louis.
Un meurtre à l’île-aux-Chiens.
Les gendarmes Dangla et Bonnaud se rendirent immédiatement chez le père Coupard; mais à part certains dégâts insignifiants, tels un bris de carreau, ne remarquaient rien d’anormal, la cabane était vide. Ils crurent ses habitants partis pour la chasse au gibier de mer. Les constatations des agents de l’autorité avaient été trop hâtives; car les dégâts étaient au contraire assez importants, ainsi qu’on le verra dans la suite. On peut même s’étonner qu’ils aient pu passer inaperçus aux yeux des gendarmes; ce n’est que dans l’après-midi vers 2 heures, que deux amis à Coupard, Poirier et Fouré, se rendirent chez lui pour lui emprunter une paire de bottes. Quelle ne fut pas leur surprise de voir le tambour démoli et la croisée brisée. Ayant pénétré dans la cabane et soulevé un voile de wary étendue dans un coin, ils y découvraient le cadavre, absolument nu, du malheureux pêcheur.
Le Parquet immédiatement prévenu se transporta sur les lieux pour procéder aux premières constations, en présence du Docteur Camail, médecin de la localité. Le cadavre avait été déposé entre deux coffres et tassé en boule, la tête repliée sous la poitrine et les jambes infléchies sous l’abdomen. Quand on retira le cadavre de la position où ils était, un horrible spectacle glaça d’horreur les assistants. Le corps de Coupard était atrocement mutilé. Au dessus du sein droit, trois incisions d’environ 3 centimètres de longueur; trois incisions semblables existaient au-dessus du sein gauche. A la gorge, la trace d’un coup de couteau qui avait pénétré jusqu’au coeur. Après ce meurtre on s’était acharné sur la victime avec une rage concentrée. Le sternum avait été fendu dans sa partie médiane, comme pour diviser le tronc en deux parties. Le ventre entièrement perforé, laissait échapper les intestins; dans la partie inguinale, deux sections symétriques très profondes indiquaient qu’on avait voulu détacher les jambes du tronc. D’autres mutilations innommables étaient également constatées. Sans doute, le ou les meurtriers pressés par le temps ou de crainte d’être surpris, n’avaient pu achever leur horrible boucherie. Jetant le cadavre là où il était trouvé et l’ayant recouvert d’une voile de wary, ils avaient pris la fuite, s’emparant de tout ce qui pouvait être emporté.
Les soupçons se portèrent tout naturellement sur Ollivier qui avait disparu avec l’embarcation de son patron et, suivant une supposition assez vraisemblable, avait gagné la côte voisine de Terre-Neuve. Il était donc intéressant de rechercher si ce marin avait commis le crime seul ou en compagnie de complices. Lundi soir seulement, on apprenait qu’Ollivier avait été vu, la veille, avec un individu nommé Néel et que tous deux avaient fait des stations et de nombreuses libations dans les deux cabarets de l’île-aux-Chiens, jusqu’à dix heures du soir. Néel, bien connu dans cette localité, demeurait à Saint-Pierre chez un nommé Ruellan où il prenait pension. Le mardi, 1er janvier, la police s’informa chez ce dernier de ce qu’était devenu son pensionnaire. Elle apprit alors, non sans étonnement que Néel était venu la veille de l’île-aux-Chiens, vers 8 heures. Son emploi du temps coïncidait avec celui d’Ollivier. Mais ces deux individus étaient partis le même jour de chez Ruellan a 2 heures de l’après-midi, après avoir demandé à d’autres pensionnaires de venir les aider à pousser leur wary échoué à la pointe du Cap à l’Aigle. Néel et Ollivier avaient donc repris la mer. Avaient-ils pu gagner la côte anglaise? C’est que anxieusement, le Parquet se demandait, lorsque M. le Procureur de la République qui s’était de nouveau transporté à l’île-aux-Chiens pour obtenir des renseignements complémentaires, recevait la nouvelle que les meurtriers présumés du père Coupard venait d’être arrêtés chez Ruelland par l’agent de police Paul Coupard. Un fort vent d’est et l’état de la mer n’ayant pas permis à ces deux marins de gagner Terre-Neuve, force leur avait été de relâcher à l’Anse à Henri où ils avaient saillé leur embarcation et passé la nuit dans une cabane abandonnée. Le matin du 1er janvier, ils étaient revenus en ville par la route de Gueydon non sans avoir fait des stations dans divers cabarets établis sur cette route; Emmanuel Ruault, Porée et Chesney, le restaurant avait été leur dernière station.
A peine arrêtés, Néel et Ollivier étaient conduits sous bonne escorte sur les lieux du crime pour y être confrontés avec le cadavre de Coupard. Ils firent des aveux complets. Néel aurait frappé le premier, Ollivier n’aurait frappé qu’après, sur l’invitation de son complice. Interrogés pour savoir dans quel but ils avaient tenté de dépecer le cadavre de leur victime, ils répondirent que c’était pour savoir « s’il était gras » que d’ailleurs ils étaient saouls perdus…
Sur leur parcours, les meurtriers purent se rendre compte combien leur abominable forfait avait soulevé l’indignation publique. Les femmes notamment en voulaient surtout à Néel, qu’une vie de désordre avait conduit jusqu’au crime.