26 avril, 2024

Gilbert de Bournat : la rédaction du ‘Coup de Saint-Pierre’

Ceci est le cinquième texte d’une série de six articles, consacré à l’ancien gouverneur des îles Saint-Pierre et Miquelon.

Le Coup de Saint-Pierre est une œuvre pour le moins singulière par son exécution, son plan et son objectif. Publié en 1974 à compte d’auteur, l’auteur débute par une présentation de la géographie terrestre et maritime.

Arrive ensuite un portrait démographique superficiel qui s’enfonce très rapidement dans le paternalisme et la caricature : les Miquelonnais sont « un petit peuple à part, plein de bon sens », les Saint-Pierrais sont « frondeurs » et d’une « sensibilité extrême ». Certes, de Bournat fait l’éloge de la générosité et l’hospitalité des habitants, mais cela n’est qu’un prélude à son analyse approfondie du caractère insulaire à travers une série d’évènements historiques : l’affaire Néel, l’affaire des Clabords, l’affaire des Inventaires, l’incident de juillet 1933 et les troubles de 1965. L’objectif ? Brosser le portrait d’une population dont certains éléments seraient toujours des agitateurs en puissance.

Le quatrième chapitre est le plus décousu de tous. Il retrace l’arrivée du nouveau gouverneur avant d’évoquer très longuement l’histoire de la prohibition et son impact sur les îles. Le volet social et économique du chapitre est en fait le début du curriculum vitae du candidat de Bournat : conventions collectives, caisse de compensation, primes, allocations familiales, ouverture de chantiers pour résorber le chômage, travaux d’intérêt public, construction de routes.

De Bournat évoque aussi ses projets et études pour le développement des îles. S’ensuit une longue liste de projets : amélioration du port, modernisation du frigorifique, école de mécanique, élevage d’animaux à fourrure, bitumage, poste de radiotélégraphie, construction de casino, construction d’un poste émetteur radio puissant…

Le chapitre s’étend ensuite sur les réalisations qui ont eu lieu après son départ de manière à donner l’impression que tous furent en fait inspirés par ses projets : développement de la pêche, l’arrivée de chalutiers, l’aviation …

D’un coup, le chapitre s’oriente alors sur les évènements de 1939, la déclaration de la guerre, la mobilisation, la genèse des premiers opposants politiques. Il tente ensuite de s’expliquer sur la diffusion des bulletins météorologiques en temps de guerre avant d’indiquer qu’il a entendu la déclaration du 18 juin.

S’articule ensuite la théorie selon laquelle «le Maréchal était le bouclier, le Général l’épée». Ainsi, de Bournat justifie sa prudence et son refus de s’engager clairement en faveur de la France Libre.

Le cinquième chapitre évoque le vécu du gouverneur, de l’armistice à l’arrivée des Forces Françaises Libres le 24 décembre 1941. Il y explique sa vision de la genèse de nouveaux opposants, ses relations avec les gouvernements de Terre-Neuve, du Canada et des Etats-Unis et sa gestion du territoire.

Le chapitre est de fait une justification détaillée de ses actions et une longue série de réponses à de nombreuses critiques formulées ci et là à son égard y compris celles que l’on retrouve dans le livre de Douglas Anglin, St Pierre & Miquelon Affaire of 1941.

Le sixième chapitre est sa version de l’arrivée des Forces Françaises Libres, ses échanges avec l’Amiral Muselier et Alain Savary. Le chapitre suivant, intitulé « dix semaines d’occupation » est l’histoire de son internement, son analyse de la gestion des îles par l’Amiral Émile Muselier. Le départ définitif des îles est évoqué au huitième chapitre.

Le chapitre neuf est en fait une nouvelle série de justifications, d’explications et de remise en question d’articles d’historiens nationaux d’après-guerre. De Bournat dénonce avec force les analyses de Robert Aron et de Jacques Soustelle et l’obligation faite de préparer cet opuscule afin de présenter sa version des faits. De Bournat veut convaincre le lecteur que le livre fut préparé malgré lui et qu’il n’avait d’autre choix que de se mettre à la tâche.

De retour dans la France de Vichy, de Bournat évoque ses entretiens avec l’Amiral Platon et le Maréchal Pétain non sans évoquer ses actions pour minimiser les demandes des forces occupantes, ses négociations pour libérer tel ou tel prisonnier d’origine coloniale. S’ensuit une série de critiques à l’égard des forces gaullistes, de la libération de Paris et son passage devant un comité d’épuration dont il ne reconnaît pas la légitimité.

Le reste du livre, encore plus décousu, est une série d’anecdotes sur le Général de Gaulle, quelques statistiques sur les pertes françaises, anglaises et américaines pendant la seconde guerre mondiale … et le récit singulier de l’affaire de la Roncière, gouverneur des îles sous le second empire. Beaucoup de lecteurs ont été étonnés par la curieuse adjonction de cette histoire en fin de livre. La toute dernière phrase du récit permet d’y voir plus clair : « où est la vérité ? ».

Gilbert de Bournat s’érige donc en victime de l’histoire, de ses opposants et des circonstances. Emporté par le flot que fut la seconde guerre mondiale, il cherchera par cet opus de jeter le doute sur toutes les critiques formulées à son égard et de se replacer sur l’échiquier politique de l’archipel.

Lundi prochain : conclusion …

Grand Colombier

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